samedi 14 décembre 2013

Sous les quarantièmes


Sous les quarantièmes

Malgré un petit souci moteur qui nous a obligé à rebrousser chemin quelques heures après un premier appareillage, c’est sous la lourdeur du climat réunionnais que nous fesons route vers les Terres Australes, cette fois-ci pour de bon. Lorsque que vous posez vos pieds pour la première fois sur le Marion Dufresne vous entrez littéralement dans un autre monde, vraiment. Ce géant des mers du monde impressionne. Ce 2 novembre nous sommes tous sur le pont le sourire aux lèvres, nous partons enfin, sous un soleil ravissant. Les appareils photos déclenchent sans arrêt, les jumelles autour du cou sont prêtent à être dégainées. L’île de la Réunion nous offre de jolis paysages. Les premiers oiseaux ne trainent pas à se montrer. Noddy Anous stolidus, Paille-en-queue, Pétrel de Barau Pterodroma baraui, Puffin d’Audubon et Puffin du Pacifique Puffinus pacificus nous suivront durant les premiers jours de ce périple qui s’annonce mémorable. Comme un symbole, un groupe de Dauphins tachetés se joue du navire, comme pour nous souhaiter bon voyage. Nous prenons nos marques. Chacun découvre sa chambre avec son ou ses compagnons. La mer est calme, il fait chaud, tout va bien mais çà ne va pas durer. 
 

Deuxième du nom, l'un de ces derniers voyages

Larguez les amarres !

 
Photo 3 : Bon voyage à vous aussi !

Comme dirait Tesson dans sa cabane en Sibérie : 

« Les jours défilent, miroir de la vieille, esquisse du lendemain ». 

Ici, le jour se lève, l’ornitho monte à la passerelle dénombrer et spécifier tous les piafs qui trainent et de temps en temps quelques mammifères marins, les cuisiniers l’appellent pour le déjeuner, il revient à la passerelle pour l’après midi, les cuisiniers le rappelle cette fois-ci pour le diner, le soleil se couche, il passe la soirée au bar avec ses compagnons et file se coucher (des fois quand le soleil se lève, donc çà chamboule un peu tout, mais tout va bien …). Et çà recommence le lendemain. Le tout en se faisant bercer par le roulis et le tanguage constant du Marion. Certains ne peuvent pas sortir de leur lit alors que d’autres se portent à merveille. Je fais partis de ceux qui se portent à merveille, ouf ! Les journées se ressemblent malgré la découverte de nouvelles espèces au passage de nouvelles latitudes. Pensées pour vous les gars lorsque j’ai mis mon premier albatros dans mes jumelles. Un bel adulte d’Albatros timide. Ces oiseaux sont merveilleux. Avant d’arriver en vue de Crozet, une tempête est annoncée. Les visages sont inquiets, les esprits méfiants. J’ai tendance à m’en réjouir car je présage de belles observations, mais j’ai vite déchanté croyez-moi. C’est assez spectaculaire et plutôt effrayant. Nous nous demandons encore, pour les néophytes que nous sommes, comment le Marion a gardé son cap, sans broncher. Les officiers semblaient sereins, habitués. Les quarantièmes rugissants nous accueillent de la plus belle des manières. Là, y a furie ! Avec pour seul repère l’horizon, l’appréhension est totale. Mais qu’importe, les oiseaux sont là et il nous faut bosser. Tenant debout tant bien que mal les jumelles sur le nez, nous les admirons planer avec grâce et légèreté. Ils sont dans leur élément, ils nous narguent. Ils ont une telle aisance sous l’infatigable tempête que nous nous sentons presque ridicules. Les rafales nous cognent contre les murs, nous bousculent dans les escaliers, nous renversent nos assiettes, nous éjectent de nos chaises, c’est impressionnant. Nous sommes tous vulnérables face à cet élément déchainé, mais le Marion tiens. Les vidéos vont bon train, c’est très spectaculaire. Nous prenons çà à la rigolade. Un moment, il s’est pris d’un gîte tellement énorme que nous avons cru chavirer, mais non, il s’est redressé, fièrement. Un moment qui restera inoubliable. 

Le sourcil noir de l'Albatros


Même pas peur


25 cm de la tête aux pattes, 100 grammes, tout va bien !


Le vol léger des damiers du Cap


La menace rôde ...
 

« Passerelle pour l’ensemble des passagers, passerelle pour l’ensemble des passagers. Je vous informe que nous sommes en vue de Crozet. Votre capitaine »

Nous courons à la passerelle …… Moment de silence, nos yeux brillent, nos bouches sont bloquées, ouvertes. Crozet est devant nous. 5 jours sans voir de terres et voilà que surgit devant nous des falaises époustouflantes et des montagnes enneigées. Mais dans quel monde sommes-nous ? A en oublier les centaines d’oiseaux autour du bateau. De grosses pensées pour Val et Caro que nous avons laissé là. Val dans un an, Caro dans 6 mois, 2 000 km de mers nous séparent. Régalez-vous bien et prenez soin de vous. A cause du souci moteur en partance de la Réunion et de la tempête d’il y a 2 jours, nous avons pris du retard et les priorités ont été privilégiées pour les débarquements sur base. Malheureusement, je ne suis pas descendu. Nous sommes resté une journée devant la base Alfred Faure et avons fait route vers Kerguelen en soirée. Owh … Kerguelen ! 

Ambiance automnale


Crozet !
  
Il y a un peu moins de monde à bord du bateau désormais. Beaucoup de nos amis sont restés à Crozet. Nous, nous continuons à supporter le roulis du Marion. La mer est plutôt calme comparé à se que nous avons pu vivre. 3 jours de mer suffisent à rejoindre l’Archipel de Kerguelen. La capitale des Terres Australes. Chance nous souris, les logisticiens nous offrent la possibilité de passer par le Nord pour ensuite redescendre vers l’ouest afin de rejoindre la base Port-aux-Français, au fond du Golfe du Morbihan (si si … !). Nous admirons les Nuageuses, l’Arche de Kerguelen, la Baie de la Table dans la Baie d’Audierne, la Presqu’île Rallier du Baty, bref, tous ces noms que l’on lit dans les livres se dévoilent là, juste devant nous. Ces paysages sont très spectaculaires, sublimes. L’hélicoptère ne compte plus ses vols de ravitaillement des différentes cabanes éparpillées dans l’archipel. Les oiseaux sont bien là, par milliers à nous saluer. L’ornitho est heureux ! Il l’est encore plus quand il apprend qu’il va pouvoir descendre 3 jours sur base, avec tout le monde. Le Marion est mouillé devant Port-aux-Français et c’est en hélicoptère que nous quittons ce navire, après 10 jours de mer. La terre ferme, bizarre. Finis le mal de mer, place au mal de terre. Nos tête tournent un peu, on se rend compte que même debout sans bouger à papoter (sans forcément avec une bière à la main !) … on tangue ! Je vois mes amis découvrir avec émerveillement leur base qui va les accueillir pendant plus d’un an, un peu moins pour certains. Je les envie, vivement Amsterdam. Sur base, attention où l’on met les pieds. Ces gros tas qui se dorent la pilule n’importe où sont bien des Eléphants de mer. Des tonnes et des tonnes. J’observe mes premiers Manchots royaux. Ils sont vraiment magnifiques. Sterne de Kerguelen, Manchot papou, Pétrel géant, Canard d’Eaton. Bon allez, finis les promenades autour de la base, il faut aller à Totoche maintenant. Le bar de Port-aux-Français … !!! Musique, baby-foot, billard, ping-pong, canap’, bière et compagnie … bonnes soirées !!! Comme d’habitude, le temps passe à une vitesse folle, il est temps de quitter tout le monde. Le Marion nous attend, il faut faire route. Au revoir Kerguelen, au revoir tout le monde. Mini-Moy et Flo éclatez vous bien. On se revoit dans un an sur Amsterdam !!! oh yeah ! 


Ils auraient acceptés les caresses ces 2 là !
Un Eleph' dans toute sa splendeur ...



Manchot papou


Warning


 
Direction l’île d’Amsterdam … Eole, fait que les vents nous soient favorables. 3 jours de mers, 3 jours d’attente, 3 jours d’impatience, 3 derniers jours sur le Marion. Nous voilà devant Saint-Paul. Une île sous juridiction française où y poser le pied nécessite l’autorisation suprême de la Réserve Naturelle de Terres Australes. En gros, personne n’a le droit d’y accoster mis à part quelques scientifiques. Lors des rotations du Marion Dufresne, il est possible pour l’ornithologue d’y accoster. Des prospections sont à faire pour évaluer la colonisation de l’île par les oiseaux suite à une dératisation il y a quelques années. Je mesure pleinement la chance que j’ai de pouvoir mettre le pied sur ce caillou, rêve de tout ornitho des terres australes. Monsieur le Préfet des Terres Australes et Monsieur le Directeur de la Réserve Naturelle (rien que çà) m’accompagnent moi et 2 autres collègues qui ont des mesures à faire. Photos comptages otaries et gorfous sauteurs plus prospection de terriers de Prions de Macgillivray. Un prion endémique de Saint Paul qui aurait pu disparaître il y a quelques années. Une chance inouïe. Le temps passe vite, nous devons repartir, déjà. J’y serai resté 1h30. Au revoir Saint-Paul, je ne suis pas près de te revoir. Merci.


Saint-Paul


Yeah ! rastaman !
 
Et voilà, alors que Saint- Paul se devine encore dans notre sillage, le fameux caillou qui va m’accueillir pendant plus d’un an se dévoile droit devant. Amsterdam est là. Le rêve se poursuit. L’émotion est grande. Hivernants de la 65ème, bienvenue chez vous !



Amsterdam! enfin te voilà !
  

samedi 12 octobre 2013

En guise de préambule ...

Le grand départ approche, il me tarde de rejoindre les mers du sud. Bien amarré à son port d'attache réunionnais, le mythique Marion Dufresne, deuxième du nom, se prépare pour une énième rotation dans les terres australes. A compter du 30 octobre, je vais passer pas moins de 20 jours à son bord sous les quarantièmes avec pour cap ... les Terres Australes et Antarctiques Françaises. Une année dans l'autre hémisphère. Malgré cette petite appréhension de l'inconnu, je meurs d'impatience de fouler enfin ces terres extrêmes d'une beauté réputée sans égale. Un peu plus d'un an de ma vie à vivre sur une des îles la plus isolée au monde à étudier et contempler ces rois des océans que sont les albatros, les manchots, les orques et tellement d'autres. Un cauchemar pour certains mais un véritable rêve éveillé pour d'autres. Je vais être l'ornithologue de la 65ème mission sur les îles St Paul & Amsterdam.

Je suis embauché par l'Institut Polaire Français Paul-Emile Victor (IPEV) qui gère la recherche scientifique dans les TAAF. Cet organisme se met au service de certains laboratoires de recherches comme celui de Chizé (CEBC-CNRS), pour lequel je travail. Ma mission va consister à poursuivre les activités de recherches débutées il y a plusieurs années concernant l'écologie des prédateurs marins (oiseaux et mammifères) sur le district St Paul & Amsterdam. Le programme de recherche auquel je suis attaché s'intitule "Oiseaux et mammifères marins, sentinelles des changements globaux dans l'océan Austral". Il s'agit d'étudier le comportement alimentaire des individus pour comprendre comment les variations climatiques et océanographiques affectent leurs populations. Observer, dénombrer, capturer, baguer, mesurer, peser, équiper, étudier des centaines d'albatros, gorfous et autres otaries ... Awesome !


Mon emploi du temps sera dicté selon la phénologie des espèces que je vais avoir à étudier. Tantôt sur base, tantôt en cabane, parfois même sous tente, je vais arpenter l'île selon la localité des colonies d'études. La Mare aux Elephants pour les otaries. Le Plateau des Tourbières pour le mythique Albatros d'Amsterdam et les opportunistes skuas. La légendaire Falaise d'Entrecasteaux, reconnue comme La merveille des Terres Australes, pour les milliers albatros et gorfous. Rois des mers,  les albatros et toute cette vie sauvage vont m'offrir un spectacle qui restera certainement inoubliable.

C'est donc sur ce petit bout de terre perdu dans l'infinie de l'océan que les vents m’ont mené. Nous serons une petite vingtaine de privilégiés à vivre sur la base Martin de Viviès de l'île d'Amsterdam. Tous les métiers seront représentés et chacun aura sa place, son rôle et ses fonctions afin d'être autonome sur la base tout en menant les recherches scientifiques. Médecin, cuisinier, mécanos, électronicien, informaticien, climatologue, sismologue, ornithologue ... Belle aventure humaine en perspective !

Amsterdam, c'est quelque part par là ... 
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